- Elisa Azogui-Burlac
Troubles de l'alimentation : une douloureuse expérience pour les parents
Updated: Sep 7, 2022
Il est difficile pour les parents de parler des troubles du comportement alimentaire de son enfant. Les articles que l’on a pu lire, les expériences que l’on a pu partagées ne collent jamais vraiment à notre réalité. Si unique, si personnelle. Les troubles de l'alimentation sélective de mon fils (SED, Selective Eating Disorder) et les solutions que nous avons mises en place lui ressemblent et nous ressemblent en tant que famille. Peut-être il y a autant de troubles qu’il y a d’enfants… Si certaines phobies alimentaires sont liées à des troubles plus important du comportement, comme l’autisme, ce n’est pas le cas pour nous. Je raconte ici notre histoire, comment les troubles se sont installés, les tensions que cela a créées, et enfin, comment nous avons trouver une forme de solution sur-mesure.

Il dit NON !
Mon fils a commencé à dire non à toute nourriture solide dès l’âge de 11 mois. Je suivais le modèle français des purées et des compotes alors qu’à la crèche anglaise ils lui donnaient des sandwichs et des pizzas qu’il ne voulait absolument pas avaler. Il disait non à tout à part aux purées et c’était impossible de lui faire goûter des choses nouvelles. Du coup à la crèche, j’avais soudoyé une des assistante pour qu’elle lui donne au moins un yaourt car il ne mettait que des crackers dans son ventre jusqu’à 18 heure… Quelle inquiétude !
Début d’un trouble sélectif
Progressivement ce refus s’est transformé en un sélection précise de certains plats. Finies les purées, il a commencé à ne manger que le chili con carne, les bâtonnets de poisson à la sauce “gravy” (bouillon de boeuf) et les saucisses de la crèche. Un peu dur pour une française mais very very british vous me diriez ! Trois plats et des yaourts et compotes dans le même packaging et un point c’est tout ! Et surtout quand il en a envie … Car à la maison, le premier réflexe était de dire non, tout simplement devant toutes les assiettes.
L’impact sur et de l’environnement
Il faut comprendre, que c’est presque impossible en tant que parent de “lâcher” quand un trouble touche à la nourriture. De manière très primaire, nous avons la responsabilité de nourrir notre enfant, et une certaine obsession qui arrive très tôt qu’il aille dormir le ventre plein, sans avoir faim.
C’est la raison pour laquelle, les troubles du comportement alimentaire entraînent un tension entre les parents, et entre les parents et l’enfant au moment des repas. Tu cherches un compromis pour le faire manger, ça prend des heures, des crises, des punitions, de pleurs, des excuses, des pleurs encore et tu pressens bien que c’est tout le contraire de ce qu’il faudrait faire. Dédramatiser, être indifférents, mais comment?
Ce n’est pas seulement à la maison qu’il y a de la pression. Les vacances deviennent douloureuses et lourdes, nous devions transporter son lait en poudre et 15 kilos de compotes pour être certains qu’il mange un peu ! Les rendez vous collectifs aussi, où autant les parents que les enfants subissent le regard interrogateur des autres quand tu ramènes tes chips ou tes plats préparés pour éviter les drames. Et enfin, la moindre nouveauté, le moindre changement, maladie entraîne une aggravation des troubles.
Des aphtes dans la bouche ? Finis les fish fingers qui ont brûlé la gencive. Une gastro ? Adios les yaourts et le lait. La naissance d’une petite soeur ? Bye bye chili con carne. Seules les saucisses ont toujours survécu au menu et elles restent son plat préféré aujourd’ hui encore.
Au risque d’être jugé, pour nous c’est les écrans qui nous ont permis de mettre en place une forme de routine à l’heure des repas afin qu’il mange. Comme si devant les écrans, il oubliait qu’il mangeait et il pouvait défocaliser de la nourriture, la désinvestir.
Mais surtout en tant que parents nous avons fait rapidement un choix qui a été déterminant pour les solutions que nous avons mises en place. Ce qui comptait le plus pour nous finalement, c’est qu’il mange, qu’il se remplisse le ventre. De saucisses, de chili con carne, qu’importe mais tout sauf la faim.
On a ainsi choisi de lui préparer uniquement ce qu’il aimait, pour enlever les tensions, rendre positifs les moments des repas et nous avons, un temps, arrêté de proposer des aliments nouveaux. Je crois qu’après la naissance de ma fille, mon fils a dû manger des saucisses pendant 3 mois midi et soir !
Enfin nous avons attendu l’entrée à la maternelle pour voir sa réaction à la cantine. On se disait qu’un changement d'environnement avec des gens qui ne connaissaient pas son trouble pourrait lui faire dépasser sa phobie. Mais non, après deux semaines avec le ventre vide, je le revois cacher des raisins secs tout tremblant dans son manteau parce qu’il avait peur d’avoir faim.
Heureusement, le personnel de l’École a été à l’écoute et nous avons décidé ensemble d’introduire les plats préparés. L’importance qu’il prenne du plaisir à aller à l’école a pris le dessus sur notre dégoût du chili con carne.
Séances d'orthophonie
Cette même année, nous avons commencé des sessions avec un orthophoniste spécialisé dans les troubles alimentaires. Nous avons fait 6 sessions dont il est dur de mesurer l’impact mais je crois que cela à changé durablement la dynamique familiale. C’est la première fois que nous avons pris en charge ce trouble avec des tierces personnes, ce qui a permis de changer notre ‘récit’ familiale, de parler de phobie, de maladie aussi. C’est à ce moment là, peut-être grâce à la prise en charge extérieure, que nous avons réussi à lâcher un peu et à être moins inquiets.
Même si son trouble était ennuyeux et handicapant, finalement notre fils mangeait bien et il aimait manger, que certains plats certes, mais quand même ! Enfin, il n’avait aucun problème de développement physique ou psychique. Aucune carence. C’était juste très chiant…
Grâce à ses sessions d’orthophonie, nous avons commencé à mettre en place des jeux avec le toucher, l’odorat qui nous a finalement conduit à un système de récompense qui a marché pour le faire goûter des choses nouvelles.
C’est l’été qui a suivi alors que nous étions tous les quatre en vacances dans un hotel qu’un réel changement s’est mis en place. Dans cette relation de récompense avec son père, notre fils a commencé à introduire de nouveaux aliments. A chaque fois qu’il goûtait et mangeait quelque chose de nouveau, il avait le droit un cadeau de son choix. Ça parait simple, mais ça n’a fonctionné qu’à ce moment là et qu’avec son père !
Grâce à ce système, notre fils ne mange peut-être pas “sainement” ou “comme les autres”, mais il mange vraiment comme un enfant. Et surtout pendant les vacances, les restaurants et les déplacement ne sont plus du tout un problème ! Liberté, je crie ton nom !
Les causes potentielles
Pour être honnêtes nous ne savons pas les causes et je pense qu’on n’aura jamais une réponse claire à cette question. Nous avons bien quelques théories en tant que parents, mais c’est comme X-Files, rien n’a jamais été prouvé alors la vérité est sûrement ailleurs !
- La crèche : ils n’étaient pas beaucoup à l’écoute et ils ont poussé le solide quand notre fils n’était pas prêt.
- Le reflux : Nous avons découvert assez tard, vers ses deux ans et demi, que notre fils avait encore un reflux gastrique et une otite séreuse non soignés. Le mal de gorge permanent et les infections ont pu troubler son rapport au goût et à l’appétit.
- Une hypersensibilité : beaucoup de professionnels voient un lien entre l’hypersensibilité des enfants et les troubles alimentaires. Oui notre fils est sensible, peut-être pas hypersensible mais vraiment sensible ce qui fait que beaucoup de choses, d’étapes peuvent être plus complexes avec lui. L’orthophoniste a aussi identifié chez lui une hypersensibilité sensorielle aux odeurs qui peut rendre plus difficile l’exploration de nouveaux aliments.
Et maintenant ?
Maintenant que la manière dont il mange n’a plus d’impact au quotidien, on considère que ça va mieux. Après tout, notre génération de parents a tendance a sur-examiner le moindre problème lié à l’enfant. La moindre anormalité. Parlait-on de troubles du comportement alimentaire quand un enfant ne mangeait pas à la cantine avant ?
Alors, on continue les plats préparés à la cantine, même si on se demande si on pourrait tenter l’année prochaine d’introduire les aliments qu’il aime mais de l’école à midi ou à l'heure du goûter.
Nous tentons toujours de lui présenter des nouveaux aliments pour qu’il goûte. Mais il a eu tellement de robots pour ses progrès que notre jeu a un peu perdu de son charme disons…
Enfin, nous aimerions bien enlever les écrans à l’heure des repas, surtout que par imitation sa petite soeur a pris le pli. Mais ce ne sera pas à n’importe quel prix et on ne le fera que s’il est d’accord avec cette nouvelle règle et que ça ne crée pas un sentiment négatif autour des repas.
En bref, on le laisse grandir en espérant qu’il en sorte à un moment, oui qu’il grow out of it, comme on dit si bien en anglais. Et on est déjà très fiers des progrès qu’il a fait cette année.
Pour votre enfant, écoutez le podcast "Dans le ventre de Joshua" qui raconte les phobies alimentaires du point de vue de l'enfant.
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