- Elisa Azogui-Burlac
Papillon de nuit : chronique d'un parent qui ne dort pas
Updated: Sep 6, 2022
Si je refuse d’avoir une vision trop manichéenne du monde, je divise pourtant les parents en deux catégories bien distinctes. Ceux qui dorment et ceux qui ne dorment pas.

Un peu comme Moïse et Ramsès dans les dix commandements, élevés par la même famille ils ne sont pourtant pas frères. L’expérience de la parentalité ne suffit pas à faire de nous des parents complices. Autant que nos nuits, notre vie de parents est complètement différente. Je parlerais même d'un “parentalxit”, l’Angleterre et la France qui se regardent en frères ennemis et qui questionnent leur approche de l’éducation :
“Je suis sûre qu’ils l’ont fait dormir dans une chambre séparée dès le premier jour”, ou “ils ont dû le laisser pleurer pas de doute !” et encore “Attends, le gamin il sent bien qu’il n’y a pas moyen, il n’y a pas d’espace pour ses demandes d’enfant ” ; mais aussi “Non mais ils sont tellement angoissés, bien entendu qu’il ne dort pas ce gamin, ça ne vient pas de nulle part !” et “En même temps, il a tout compris ce gosse, il fait ce qu’il veut avec ses parents, faut pas s’étonner”.
Cependant, soyons honnête, malgré ces rivalités, il y a toujours un moment où le parent qui ne dort pas, aspire à passer de l’autre côté de la frontière pour devenir un adulte qui dort. Bien entendu qu’il est envieux. Le besoin de dormir c’est instinctif, c’est animal, ça prend les tripes je vous l’dis. Et j’en sais quelque chose, cela fait 5 ans et demi que je ne dors pas.
Mais ce qui m’est arrivé les derniers mois est pire que tout. J’étais enfin passée de l’autre côté et là, alors que l’on avait dépassé le tunnel sous la manche, le train s’est arrêté pour faire demi tour. La terre promise refusée à son entrée, comme Moïse décidément !
J’ai cru que mon fils dormait enfin après un été entier de nuits paisibles, de petit déjeuner où le café devient un plaisir, ce petit “je ne sais quoi”, plus qu’un moyen de survie. Un été de folie et de joie où j’aurais pu chanter tous les matins comme dans la pub ricoré “Ah ma belle vie avec mes enfants parfaits”. Une envolée bien lyrique qui a rendu l'atterrissage d’autant plus difficile, la tête la première, écrasée sur mon coussin près de celle de mon fils !
On y avait tellement cru pourtant ! On lui avait offert le cadeau final de félicitation (après une dizaine de petits cadeaux d’encouragement), j’avais commencé à me vanter auprès de mes amis. Et J’avais même réussi à prendre du recul sur ces dernières années difficiles : “Oui mais tu vois avec le recul je pense que j’étais juste épuisée, en mode automatique quoi, donc je ne pouvais pas prendre les bonnes décisions. Mais maintenant ça va changer…”
Alors quand les réveils nocturnes ont repris, cela m’a semblé impossible, insoutenable. Je n’avais pas complètement lâché pour autant. Je m’endormais encore, terrorisée, comme un interne de médecine de garde, prêt à bondir pour une opération nocturne. Mais maintenant c’est différent ... Je suis passée en privé, le sommeil m’est devenu indispensable et je plaide la légitime défense ou la folie si on ose me le troubler.
Après deux semaines de nuits agitées, j’ai ainsi développé des défenses de psychopathe qui se traduisent par un “manque total d’empathie’ pour mon fils contre lequel j'élabore des stratégies machiavéliques pour qu’il re-dorme :
“Tu vas tomber malade si tu ne dors pas !”, “Tu ne pourras pas être bon à l’école et les maîtresses ne seront pas contentes, tu seras puni » ou mieux/pire encore “Si tu continues, je vais tomber malade et aller à l'hôpital, c’est ce que tu veux ? (technique de la mère juive)” ….
Des propos qui me font malgré tout culpabiliser quand le matin arrive, que ma folie diminue à mesure que le jour avance. Du coup, pleine de doutes et de culpabilité, je commence une conversation Whatsapp avec mon mari :
Moi: il faut peut être lâcher l’affaire une petite semaine et lui mettre un matelas dans notre chambre pour que tout le monde dorme ? Il est angoissé avec la rentrée je pense ? T’en penses quoi?!”
Lui : Non ! Tu le connais, si on lui laisse la porte ouverte, c’est fini, il faut au contraire être très ferme ! T’en penses quoi ?
Moi: Je ne sais pas ! je suis épuisée (mot que j’emploie tous les jours), je suis inquiète aussi (mot que j’emploie deux fois par jours) et je me sens coupable, il me fait de la peine (mère juive encore ). Mais t’as sûrement raison…
Ainsi arrive cette fameuse nuit où d’un commun accord Whatsapp mon mari et moi avons décidé de ne pas flancher et d'être sévères s’il vient nous réveiller !
3h30 : Papa j’ai peur de faire un cauchemar. Quelle arnaque il n’a même pas fait de cauchemar mais il anticipe d’avoir peur ! Non mais la blague !
S’en suit alors une négociation d’une heure, faite de menaces, de recherche de compromis mais avec comme interdit suprême qu’il se rendorme dans notre lit ou dans notre chambre, puisqu’il est prêt à y dormir par terre pour nous accommoder (Merci chéri).
4h30 : Tout flanche, la situation dégénère. Alors que j’avais évité jusque là toute intervention maternelle, je sens mon mari faiblir sous le pouvoir de négociation de mon fils et surtout sous l’envie de dormir !
On ne peut en aucun cas revenir en arrière. Pas seulement pour nous mais aussi pour lui. Des parents qui flanchent comme ça ce n’est pas rassurant pour un gamin quand même ! Je prends les choses en main et tente de le pousser hors de la chambre, il se met à hurler. Je mets la main sur sa bouche pour étouffer son cri et le voilà qui m’accuse de vouloir le tuer car il ne peut plus respirer. La crise est à son paroxysme et sa soeur se réveille, comme tout le voisinage j’imagine.
4H45 : Je le ramène dans sa chambre, rendors sa soeur. Le duel continue. Je lui dis qu’il a vraiment dépassé les limites. Il le sait, je sens qu’une voie de sortie est possible. Lui aussi se sent coupable mais je dois lui faire croire qu’il a gagné quand même. Je lui propose comme alternative que je dorme dans le bureau près de leur chambre pour qu’il n’aie plus peur. Il accepte. Soulagement.
Allongée dans le bureau, sur un lit sans drap, avec une couette sans housse et sans coussin, je me rendors enfin. Désespérée mais avec quand même un petit goût de victoire, après tout, il est dans son lit !
5h15 : le voilà qui ressort de sa chambre en criant. Il y a un monstre, il a fait du bruit, il y a un monstre dans le couloir ! J’allume la lumière. J’hurle à mon tour alors qu’un immense, vraiment immense, papillon de nuit marron se tient sur le rebord de la porte.
Et là je vois mon fils avec un grand sourire, il se marre, le visage triomphant. Tu vois je te l’avais bien dit, c’est pour ça que je ne pouvais pas dormir !
5h30 : je ne relève pas l’affront. Je me rendors sur mon lit défait, le goût de victoire a laissé la place a une gorge sèche. il nous reste une heure de sommeil si tout va bien. Sacré papillon de nuit, je me dis !