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  • Elisa Azogui-Burlac

Entretien avec un papa : peut-on parler d'une génération de nouveaux pères ?

Updated: Sep 7, 2022


R., 33 ans, habite à Paris et travaille dans l’agroalimentaire. Il est père d’une fille de trois ans et attend un second enfant. Il nous livre, dans cet entretien, ses sentiments et ses questionnements sur la paternité. Si devenir père s’est fait de manière naturelle, il sent pourtant qu’il suit un nouveau modèle parental en rupture avec celui qu’il a lui-même reçu. Un témoignage honnête et touchant.




Peux-tu te présenter ?


Je suis papa d’une fille de 3 ans et bientôt d’une deuxième petite fille qui devrait arriver à la rentrée. Je vis à Paris, je suis très urbain. J’aime sortir avec mes amis et m’occuper de ma fille. C’est très important pour moi. J’aime aussi les voyages et passer du temps en famille. Voilà : Urbain, Parisien ! (rires)


Quel est le mode de garde de ta fille actuellement ?


Ma fille est à la crèche du lundi au vendredi et nous avons une nounou qui va la chercher à 17 h et qui la garde jusqu'à 19h du lundi au jeudi. L’idée étant que les journées à la crèche sont un petit peu longues pour son âge. Généralement, c’est moi qui libère la nounou à 19h et c’est ma femme qui emmène notre fille à la crèche le matin. Le vendredi à 17h, je vais moi la chercher. On s’est dit que c’était sympa de libérer du temps le vendredi aussi bien pour nous que pour les grands-parents afin qu’ils puissent passer un petit plus de temps avec elle.


As tu pris un congé paternité ? Si oui, qu’est ce que cela t’a apporté ?


J’étais dans une start-up et j’ai pris le congé paternité légal, ce qui n’est pas grand chose en France, 15 jours je crois. L’idée de ce congé était que, pour un premier enfant, je puisse venir épauler ma femme qui était 100% à la maison. En plus, elle est chef d’entreprise donc ce n’était pas forcément facile. Mais pour moi, c’était évident que j’avais envie de l’épauler au moins pendant ces 15 jours, pour que l’on apprenne ensemble ce nouveau rôle de parents.


Je trouve que c’est beaucoup trop court en France par rapport à ce qui fait dans d’autres pays européens. Qu’est ce que c’est 15 jours à la naissance d’un enfant ? Donc c’était très bref, très frustrant. Et forcément, j’ai ressenti une forme de culpabilité par rapport à ma femme qui elle, était obligée de rester à la maison et d’assurer le quotidien.


J’ai eu envie de comprendre, pendant ce petit laps de temps, les réflexes. Comment se comporter et apprendre à connaître ma fille. C’est vrai que tant que l’on n’a pas d’enfant, et moi je n’ai pas vécu dans une famille avec des petits frères ou des petites soeurs, on ne connaît pas les réflexes, les habitudes propres au nourrisson.


Donc pour moi le congé paternité servait à prendre confiance en moi dans mon rôle de père. Dans des gestes techniques d’abord, et ensuite de créer tout doucement une relation avec ma fille. Car tout ne se joue pas dans la relation à la mère.


Justement on parle d’une génération de nouveaux pères avec un rôle plus important au sein du modèle parental que celui les générations précédentes. Es-tu d’accord avec ce constat ?


Complètement. C’est naturel. Je viens d’une famille plutôt ouverte d’esprit. Mes parents m’ont eu moi et mon frère jumeau très tardivement. Pour l’époque en tous cas, à presque 40 ans. Aujourd’hui c’est naturel mais il y a presque 35 ans ça ne l'était pas.

Clairement ma mère a pris en main tout et absolument tout ! Et aujourd’hui mon père le regrette et voit très bien de lui même le changement des moeurs avec moi et mon frère qui est également papa.


Mais Il n’y a pas eu chez moi une obligation ou un dépassement de fonction. C'est hyper naturel. J’ai envie de vivre pleinement mon rôle de père. Je ne sais pas si c’est parce que c’est une fille, mais il y a évidemment une évolution.


Je le vois aussi autour de moi avec tous mes amis trentenaires papas. Malgré des postes et des fonctions qui prennent du temps, il y a une vraie évolution. Mais encore une fois, ça s’est fait pour moi de manière très naturelle et pas du tout dans la contrainte.


Te sens-tu en rupture ou en perte de repères ?


Je ne me suis pas posé ces questions. C’était très naturel pour moi. Je ne sais pas ce qui a déclenché en moi cette forme de paternité. Peut-être, en effet, une peur du père à l’ancienne qui ne savait pas comment faire, tout simplement. Alors que ce n’est pas compliqué. Comme toutes les choses dans la vie, il faut prendre le pli et prendre sa place.

Donc non, je n’ai pas du tout eu de perte de repères. Je crois qu’au contraire, avec le recul, j’ai voulu construire un modèle en opposition avec celui que j’ai reçu. Clairement, ma mère a occupé une place très importante, voire trop importante. Ma mère a toujours eu une position de représentante de l’autorité et mon père uniquement des plaisirs. Et bien moi, je pense que le père peut représenter les deux, l’autorité et le plaisir. C’était pour moi très naturel de paternité avec tes amis papas ?


On en parle mais j’en parle pas forcément qu’avec des collègues hommes mais aussi avec mes amies femmes car les constats sont les mêmes. Je ne suis pas sûr que ce soit propre à la femme d’observer ses enfants.


Ce qui est rassurant, c'est de se rendre compte que l’on a tous les mêmes problèmes, et que l’on se réjouit tous des mêmes réussites. C’est juste après dans la représentation et dans la manière que l’on a d’en parler et de le montrer aux autres. C’est tout.


Mais en tous cas, les discussions tournent toujours autour des mêmes choses : les problèmes de sommeil, de nourriture, de comportement. Comment je réagis si mon enfant me tape ? comment se positionner ? Et évidemment on est très influencés par toutes les études récentes sur comment être parent et quel comportement avoir entre autorité et laisser faire.


C’est un peu dur de trouver le juste équilibre, mais je crois que si l’on fait ça naturellement et que l’on communique, que l’on ne se met pas des formes de barrières ou contraintes, ça se passe bien. Il faut juste se dire que globalement on a réussi nous à bien vivre et bien grandir avec une forme d'éducation différente. Aujourd’hui, il n’y a pas de raison que ca se passe mal. Faut être positif tout simplement.


La charge mentale des femmes. Un vrai problème ?


Je ne me suis pas vraiment posé cette question en toute honnêteté. Oui, j’ai une femme qui est chef d’entreprise et qui malgré tout arrive à gérer tous les aspects. Aussi bien d’arriver à se libérer, que d’organiser des loisirs, des vacances, de s’organiser avec les grands parents pour évidemment se libérer des soirées et des week-ends pour préserver des moments de couple.


C’est complexe. Ça demande une grande capacité d’anticipation et d’organisation qui caricaturalement est plus propre à la femme qu’à l’homme. En tous cas dans mon foyer.

Je pense que tout se joue en fonction des caractères de chacun. On gère tous les choses de manière différente. Je crois justement qu’il ne faut pas que ça devienne une charge mentale ! Si ça devient une charge mentale, il faut en parler, il faut communiquer, il faut solliciter son partenaire si on estime qu’il n’en fait pas assez. Mais encore fois, ça ne doit pas se faire dans la contrainte mais dans l'écoute et dans la communication. Et surtout dans une forme de tolérance.


Il faut se dire que l’on sera jamais les meilleurs parents, qu’on essaye de tendre à ça, mais qu’encore une fois, ils n’ ont pas l’air malheureux. Qu’à partir du moment où l’on fait tout pour que ça se passe bien faut pas s’auto-flageller. Donc oui, la charge mentale est un vrai sujet mais il faut en parler et communiquer.


Estimes-tu que vous partagez les tâches parentales avec ta femme ?


Clairement. Ça s’est fait très naturellement. Quand on se connaît avant même d’avoir un enfant, on peut déjà anticiper sur quelle tâche l’un ou l’autre sera performant ou à l’aise.

Sur ce qui est propre à l’enfant, en tant qu’homme, j’ai pris toute ma place. Les couches, donner à manger, les bains. Je voulais faire partie de ce quotidien donc ça n’a jamais été uniquement le rôle de ma femme.


Après partager les tâches, ça demande de l'organisation. Je pense aux sorties notamment. Il faut s’organiser et trouver une forme de souplesse.

On a aussi la chance d’avoir des grands parents à la retraite et disponibles, même des arrières grands parents disponibles, des oncles et des tantes et des amis disponibles. En trois ans, on a fait appel qu’une seule fois à une baby sitter pour le soir. Notre fille est très entourée.


J’ai envie de dire qu’il faut trouver un équilibre naturel. Je ne suis pas en train de dépeindre un tableau idyllique, évidemment que l’on s'engueule sur des petites choses du quotidien. Mais sur les gros sujets en tous cas, je crois que chacun sait exactement sur quoi appuyer et du coup ça se fait plutôt naturellement. On en reparle d’ici la rentrée avec une deuxième enfant (rires).


Rencontres-tu des barrières aujourd'hui dans la société pour être le père que tu aimerais être ?


La première chose qui me vient à l’esprit, c’est la façon dont les gens communiquent avec le couple quand on parle des enfants. J’ai l’impression que, naturellement en fonction des sujets, les gens vont s’adresser à la mère. Naturellement, la figure maternelle prend le dessus et c’est une évidence pour les gens que c’est la mère qui est au courant de tel ou tel sujet ou qui s’intéresse à ces sujets. Et que l’homme, par défaut, n’est pas intéressé et qu’il a autre chose à faire.


A un moment donné, si l’on veut avancer sur ces sujets, il faut aussi se dire que l’homme peut être intéressé. L’homme qui est proche de ses enfants, qui aime s’occuper du quotidien de sa famille, n’est pas forcément un homme au foyer pour autant.

On ne peut pas réclamer des avancées sociétales si on ne fait pas l’effort nous-même de mettre les figures parentales sur le même rang. C’est quelque chose qui m'énerve vraiment quand on s’adresse uniquement à ma femme sur notre fille, partant du principe que le mari n’est pas au courant ou que c’est un sujet de femmes.


C’est comme maintenant, on attend une deuxième fille et je me prends des réflexions comme “C’est dommage, tu pourras jamais l’emmener voir un match de foot”. Non mais qu’est-ce que c’est que ces clichés ridicules ? Il faut que tout le monde fasse des efforts dès le départ si on veut avancer.


Une tâche parentale qui demande plus d’effort qu’une autre ?


Je suis désolé d’être caricatural, mais pour le coup je trouve que les femmes ont une capacité exceptionnelle de prendre sur elles. Ma femme, qui est chef d’entreprise, enceinte d’un deuxième enfant, on a l'impression que ça flotte sur elle et c’est exceptionnelle cette capacité mentale.


Oui, moi, il faut que je me surpasse. C’est dans les petites choses comme débarrasser. Des fois j’ai l’impression d'être encore célibataire et de pouvoir laisser traîner les assiettes, alors que ce n’est plus possible.


Donc oui globalement, dans tout. Le bain, les rituels du soir quand ça prend 25 minutes alors que tu as juste envie de mettre ta fille au lit pour avoir un peu de temps ; ou quand tu as envie de faire un resto car il fait beau et que ça se transforme en carnage alors que tu avais juste envie de prendre le soleil ! J’ai envie de dire d’aller au delà la contrainte.


Des conseils pour les autres parents ?


N’écoutez pas les conseils des autres. C’est la base, c’est fondamental. On parlait de charge mentale, c’est hallucinant la charge mentale que l’on peut te mettre en tant que futur parent ! C’est oppressant ! Tu t’es fait tout un petit monde, alors que quand ton enfant arrive au monde tu te rends compte que tu gères ! Encore une fois, si on fait au mieux en prenant en considération les possibilités et les disponibilités de chacun, ça fait le boulot.


Et sinon, je suis pas du genre à dire que le temps passe vite. Ma fille a trois ans et j’ai le sentiment d’avoir vécu chaque moment. Je ne suis pas paniqué par cette notion du temps qui passe. Mais en effet, il faut profiter des petits moments, car chaque petit moment est assez surprenant. Les enfants sont exceptionnels, ils sont tellement lucides, loquaces, courageux. Du coup, dans la société dans laquelle on vit, qui peut être terrible, on se doit de les protéger mais eux aussi nous protègent en nous demandant énormément de courage.

Donc être à l’écoute de nos enfants c’est important, Ne pas se dire que ce ne sont que des petites personnes qui ne pensent qu'à jouer. Au contraire, ils sont très lucides sur ce qu’il se passe autour d’eux et même si parfois ils ne mettent pas les mots au bon endroit c’est souvent très perturbant.


Une anecdote ?


J’ai longtemps pensé que ma fille était plus proche de sa mère puisqu’elle lui ressemble autant physiquement que mentalement. Et j’ai découvert qu’en fait, elle a construit simplement des relations très différentes avec moi. C’est très touchant de voir comment nos relations évoluent.


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